Le pays des forêts vides

  • Stéphan Carbonnaux

Encore une fois, je m’en reviens d’un pays peuplé d’ours et d’hommes, je veux dire un pays où les ours ne constituent pas une poignée de Mohicans éparpillés. Combien ce retour fut difficile pour ma compagne et moi ! Si nous avons retrouvé les Pyrénées, nous savons ses forêts vides d’ours, à l’exception de quelques sanctuaires que nous tairons.


Photographie ci-contre : cherchez Medved, seigneur des forêts slovènes !


Et pourtant, il ne faut pas faire cent mètres dans une rue marchande d’une ville ou d’un bourg de montagne pour dénicher un  ours en vitrine. Emblème d’une ligne de vêtements en laine des Pyrénées, peluches, pommeau d’un bâton de marche, sujet de cartes postales, et ainsi de suite, l’ours est partout. Avant de regagner notre maison, nous avons même, comble de l’ironie, découvert en enfilade les grands panneaux publicitaires vantant le « spectacle » assuré par les ours,  les loups, les lynx et les loutres dans divers parcs dits animaliers des vallées.

 

Revenons en arrière. Cela fait bien une heure que nous affûtons en lisière de cette clairière. Ce soir, nous avons préféré guetter les bêtes en dehors du mirador où elles sont finalement beaucoup trop faciles à voir. Quelques jours plus tôt, j’avais découvert le long d’un sentier de nombreux indices du passage de Medved : poils accrochés aux écorces des épicéas ou collés à la résine, griffades sur les mêmes arbres et une crotte fraîche au croisement d’une piste forestière. Dès notre arrivée, tardive, dans la clairière, les êtres sauvages sont en mouvement, tel ce chevreuil qui marche à pas légers dans notre dos. Les loirs crient, la hulotte aussi. Le soleil est déjà descendu derrière l’horizon sylvestre, lorsque Marie, assise à même le sol à mes côtés, désigne fébrilement les buissons à trente mètres de nous : « Là, j’ai vu un dos brun, je crois que c’est un ours ! »

 

Instantanément, les jumelles se collent à mes yeux qui inspectent le fouillis végétal, attendent l’éventuelle sortie de la bête quelques mètres à gauche, dans la clairière. De bien longues minutes s’écoulent, rien, pas un bruissement, pas un cri de geai qui annoncerait un animal. Singulièrement excités, nous mesurons dans nos chairs la place qui est la nôtre. Nous sommes au domicile de l’ours. Que ferions-nous si l’ours venait vers nous ? Comme rien n’est réapparu, Marie se met à douter. Elle a pourtant bien vu une forme brune se faufiler entre les arbustes. Une biche dit-elle ? Non, d’une biche elle aurait vu son long cou et sa tête, et puis cette bête lui est apparue ronde comme… un ours.

 

La nuit s’est installée et notre vision est désomais médiocre pour espérer une observation. Nous marchons lentement à pied vers la cabane forestière, les écoutilles toutes ouvertes, baignés dans l’atmosphère d’une forêt pleine.


Le retour du grand maître sauvage dans nos forêts pyrénéennes, et demain alpines, jurassiennes, vosgiennes ou auvergnates, ne sera qu’un retour à la normale.


Stéphan Carbonnaux, 21 juillet 2009

Texte écrit pour le site de Geneviève Hamelin,
www.surlespasdesours.fr

Ci-contre : tête d'ours médiévale, en pierre, à Etsaut (vallée d'Aspe, Pyrénées-Atlantiques).


Clichés 1 et 3 : Grégory Carbonnaux ; cliché 2 : Marie Coquet 

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C
"Le pays des forêts vides" ! Ca sonne comme le titre d'un roman, c'est beau mais... c'est triste et malheureusement vrai. Comme vous je ne peux concevoir que cela reste ainsi. Continuez votre combat il est essentiel, pour qu'un jour l'on puisse enfin lire "le pays des forêts pleines". Et merci pour vos articles, informatifs et très bien écrits. <br /> Michel
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C
Merci Stéphan et Marie.<br /> Ce texte nous donne toujours plus envie de vivre avec vous ces moments émouvants!
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