La magie du sauvage par le grand maître Henri Bosco
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Avant de revenir à l'"actualité" de la pseudo-protection des ours en France, nous vous offrons quelques paragraphes de l'écrivain Henri Bosco, que je découvre vraiment depuis ces derniers mois. Assurément, c'est un de nos grands maîtres du sauvage.
Toujours conserver un pied dans la nature et dans la littérature, ou dans la musique et les arts, surtout lorsque "l'actualité" est déprimante à souhait.
Les graines du grand basculement ne se trouvent jamais dans l'"'actualité" qui n'est qu'une collection de faits divers.
Stéphan Carbonnaux
" On découvrait même dans certains vergers, des terriers à lapins, dont il nous arrivait de voir sortir, timides, deux oreilles qui nous écoutaient. Rien qu'à les voir, on devinait l'inquiétude. D'où vient le vent, ce bruit, ce son, ce frémissement, ce je ne sais quoi qui a troublé l'air ?...
Toutes ces questions on pouvait les lire au mouvement nerveux dont était agitée sans cesse la pointe vigilante et velue des oreilles. Tout à coup l'une s'abaissait, l'autre dressée prudemment à l'écoute. Qu'avait-elle saisi qui la rendait rigide ? Et soudain nous faisions un pas. La bête sautait dans son trou, folle de terreur...
Les oiseaux riaient si légèrement sur nos têtes que nous avions comme eux envie de rire, tant cette fuite nous divertissait.
- Mais c'est sous la lune qu'ils dansent, Pascalet, si tu voyais çà ! Et en rond encore, au milieu des pins, dans les bois de Lumare. J'en ai vu plus de vingt, une fois, à minuit...
- Les bois de Lumare, c'est loin ?
- Très loin, Pascalet, au levant. Et sauvage !...
- Sauvage, comment ?
- Eh bien, il n'y a pas un homme, pas une maison, mais des bêtes...
- Des bêtes ?
- Oui, des sangliers, et par bandes encore !...
L'évocation de ces bois peuplés d'animaux me faisait oublier, un moment, le jardin. Abandonné au fond de la campagne, il cachait, lui aussi, sous des arbres amènes, des bêtes inapprivoisées.
Car il en abritait des multitudes... Il en vivait partout, dans les trous et les fentes, sous nos pieds, à l'abri d'une pierre, cachés, tapis au fond des creux, aplatis le long des murailles croulantes. Immobiles ou agités, lents ou vifs, quelques-uns visibles, d'autres rapides et silencieux, mais tous surchauffés par le sol, ils me semblaient électrisés par la puissance magnétique de la terre, avec laquelle ils étaient si intensément en contact qu'ils semblaient ne faire plus qu'un avec son corps immense dont ils épandaient les frémissements jusqu'à nous. Et la tête nous en tournait...
Au sortir de ces vieux jardins solitaires, nous étions ivres. Ivres de vie prise à la source, de vie prise à l'été, de vie solaire...
Nous titubions."
Le Renard dans l'île, Henri Bosco, Gallimard, La bibliothèque blanche, 1956