Tribune libre : "L'espace des bergers", un texte à méditer de Mathieu Erny, berger

  • Stéphan et Marie Carbonnaux

 

L'espace des bergers

Mathieu Erny, berger


 

 

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Mathieu Erny, à droite, sur le site de La Valbonne (Ain).

Source : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=QUAE_MEURE_2010_01_0213

 

 

 

Une nouvelle fois, "Nature, Sauvage et Civilisation" publie un texte d'un auteur qui exprime à nos yeux des positions méritant réflexion. L'auteur, Mathieu Erny,  dont la formation initiale est artistique (il peint et organise des ateliers d'écriture) est berger pour le Conservatoire des sites de Rhône-Alpes. Cet été, il gardait un troupeau de brebis dans le Vercors. Le reste de l'année, il est berger sur le site du camp militaire de La Valbonne dans l'Ain.


Il était spontanément venu à notre rencontre après mon intervention "Pour un rewilding à la pyrénéenne !" durant le colloque "Les réintroductions. Un atout pour restaurer les écoystèmes ?" organisé par le CORA-LPO en février 2012 à Lyon : Artzamendi interviendra au Colloque "Les réintroductions. Un atout pour restaurer les écosytèmes ?", organisé par le CORA et la LPO, à Lyon les 10-11 février 2012 Nous avions longuement discuté et j'avais senti immédiatement qu'il s'agissait d'une personne compétente, ouverte à la discussion et désireuse de chercher et de trouver des solutions aux conflits liés à la coexistence avec la grande faune sauvage.


Mathieu Erny avait d'ailleurs publié sur son blog "Le droit des brebis" ses impressions sur ce colloque à la date du 22 février 2012, et s'était étonné des réactions vives chez une petite minorité de mon appel au dialogue, alors, qu'au contraire, nombre de participants étaient venus, curieux et enthousiastes, discuter avec nous : http://mathieuerny.unblog.fr/page/5/


Depuis cette rencontre, nous échangeons régulièrement et j'estime qu'il fait partie des personnes que nous devrions plus entendre et écouter pour tenter de sortir des conflits entre les hommes et le sauvage qui s'enveniment depuis bien trop longtemps.

 

Voici le texte qu'il a prononcé lors du symposium "Vivre ensemble avec le loup. Hier, aujourd'hui et... demain ? Etat des lieux et perspectives europénnes ", qui s'est tenu à Saint-Martin-Vésubie (Alpes-Maritimes), en octobre 2013. Les mots en gras ont été soulignés par l'auteur.

 

Nous conseillons évidemment la consultation régulière de son blog :
http://mathieuerny.unblog.fr/

 

Stéphan Carbonnaux


 

 

 

L'espace des bergers


 

" On dit que les bergers sont des marginaux. C’est vrai, ils travaillent et souvent vivent dans des espaces de marge entre la nature « sauvage » (plus ou moins) et la campagne agricole. Ecologiquement, se sont des endroits très importants à cause d’une grande diversité de milieux. Le jargon des gestionnaires d’espaces naturels fait qu’on les appelle « espaces ouverts » mais c’est un milieu bien plus riche pour être résumé à ce clivage de milieux ouverts ou fermés. Dans ces milieux, par exemple, la broussaille a sa place. Comme elle est très évolutive, elle ne peut pas se maintenir dans un endroit strictement protégé. Elle est préservée par le pastoralisme extensif pour qui cela représente une nourriture.


Les bergers travaillent donc toujours dans des endroits difficiles. (Dans un pré on clôture le troupeau qui y passe les périodes délicates comme l’agnelage). C’est pourquoi, il ne leur est pas possible d’admettre les propos tenus cet été par plusieurs grandes associations pro loup disant au sujet de ce département : je cite, « Dans les Alpes-Maritimes, beaucoup de troupeaux sortent toute l’année dans des terrains escarpés et broussailleux. Ce mode de pastoralisme est-il vraiment adapté ? » Eh bien oui ! Bien sûr.


Les bergers sont bien loin de cette forme d’écologie liée à la culpabilité de notre société industrielle. Dans les espaces de « marge » on continue à trouver une agriculture traditionnelle « paysanne » renforcée aujourd’hui par l’agriculture biologique. Quel avenir leur réserve les décideurs européens, qui par ailleurs ont fait le choix du loup ? Pour exploiter ces espaces il faut une certaine tolérance pour les manifestations de la nature spontanée car on ne peut rompre sans conséquences tout les équilibres naturels. C’est bien sûr une tolérance maîtrisée faisant partie d’un savoir faire. C’est ainsi, que l’on savait déjà qu’exterminer systématiquement les petits prédateurs serait dangereux puisque leurs proies naturelles proliféreraient. Dans bien des cas il vaut mieux utiliser « le mal contre le mal ».


C’est évidemment sur cette tolérance que comptaient les promoteurs du loup dans la possibilité de son acceptation par les bergers. Mais qu’a fait l’administration européenne ou française de cette culture de tolérance ? Faut-il le rappeler ? Elle fait une guerre aux bactéries même celles qui donnent leur goût aux fromages. Nous avons pourtant besoin de bactéries, bien sûr de façon maîtrisée. C’est un savoir aussi et on cherche à le supprimer. Elle encourage le gaspillage en interdisant à un restaurateur de donner aux cochons les reste des repas qu’il a servi le jour même à sa table. Elle robotise le vivant en obligeant les éleveurs à marquer leurs troupeaux d’une puce électronique. Elle oblige à concentrer les animaux dans des abattoirs centralisés ou ils connaissent un très fort taux de stress. Elle interdit aux agriculteurs de semer des graines issues de leur propre production, c’est à dire qu’elle les contraint délibérément à la dépendance face aux semenciers industriels.


Aujourd’hui, le résultat le plus achevé de ce programme est le projet d’une obligation de génotypage des reproducteurs mâles. Pour lutter contre la tremblante du mouton, on a identifié un gène résistant à cette maladie et donc mis en place un programme de sélection des reproducteurs par génotypage. Ce critère prévaudra en 2015 sur ceux que se donnent les paysans par leur savoir faire. Avec cette obligation de génotypage, il est clair que de nombreux autres cas vont se superposer à celui de la tremblante et ce ne seront plus que les analyses ADN qui détermineront les reproducteurs. Fini les échanges de béliers entre éleveurs, ce sera hors la loi ! Or c’est dans la liberté de conduire génétiquement les troupeaux que repose la richesse du patrimoine des races rustiques locales.


Ce genre de règlements est insidieux, car ils progressent chaque année, petit à petit, pour être moins choquant. Mais c’est bien un avenir fait d’OGM qu’on nous prépare. Il sera fait pour et par les marchands de stérilisants ou de vaccins. Ce qui est drôle d’ailleurs c’est qu’avec la manie de la stérilisation, on n’aurait pas découvert les vaccins, car cela part du principe qu’un corps qui a été en contact avec la maladie saura se défendre plus tard et ne tombera plus malade. On inocule donc un microbe inactif. Le premier vaccin a été mis au point par Edward Jenner simplement en vérifiant un savoir traditionnel paysan qui disait qu’un humain qui attrape la variole bovine (qui lui est inoffensive) n’attrapera plus la variole humaine qui est mortelle.


C’est bien pour cette raison qu’un élevage rustique avec le minimum d’interventions sanitaires est plus résistant qu’un élevage intensif. Quand j’entends toute sorte de scientifiques étudiant la peur de la nature, la peur de la foret, la peur du loup qui traînerait dans notre inconscient collectif, je trouve évidemment important qu’elle soit analysée pour de vrai tant ces sujets sont utilisés à tort et à travers. (Nous sommes dans une société qui voudrait apprendre aux enfants la psychanalyse des contes de fées avant de leurs raconter les histoires en question le vaccin contre la peur n’opérera plus). Mais je ne peux m’empêcher de me dire que cet acharnement à vouloir analyser notre peur ancestrale de la foret ou du loup est bien un petit vélo de scientifique. Car nous sommes bien plus directement confrontés à une psychose massivement entretenue à des fins mercantiles avec l’accord de nos gouvernants, qui tend à confisquer des savoirs faire paysans et dont le résultat est la stérilisation de la vie.


Si l’on sape ainsi cette idée de tolérance pour la nature spontanée, ou pourra-t-on trouver les qualités nécessaires pour accepter les grands prédateurs ?… C’est ici qu’on est tombé dans l’artificiel en croyant défendre la nature. Le loup a été sacralisé et on a interdit toute forme de réaction active par rapport a sa prédation. Toutes les réponses officielles ont été apportées après des mois de palabre et toujours avec un décalage flagrant avec la réalité. Or la nature est très réactive, elle. Ceci a eu pour seul résultat d’accoutumer le loup à l’homme et à ses activités, le contraire de l’effet recherché.


A l’époque ou des bergers se déclaraient favorables à la cohabitation avec le loup, ils entendaient généralement par là qu’ils pouvaient tirer sur le prédateur qui attaque son troupeau et la plupart avaient un fusil pour cela. Souvent, ceux qui ne partageaient pas leur avis craignaient d’avoir à intégrer un savoir faire lié aux armes à feux.


L’idée « d’éducation du loup » comme l’appelait Michel Meuret et ses collaborateurs de l’INRA qui n’est donc pas forcément létal aurait non seulement eu un effet essentiel sur le comportement du loup, mais aurait été quelque chose de compréhensible dans le milieu pastoral ou l’on a l’habitude d’éduquer les animaux. (Il ne s’agit bien sûr pas là de domestiquer les loups mais du contraire, les garder sauvages).


Quant aux techniques de défense passive, elles ont souvent étés imposées sur tous les troupeaux de France voir d’Europe sans tenir compte des situations spécifiques à chaque région. D’expérience, je considère par exemple l’obligation du parcage nocturne du troupeau comme une contrainte arbitraire qui peut avoir des conséquences néfastes sur l’environnement. Pour le patou, si on est loin de se rendre compte de tous les désagréments qu’il occasionne et du travail supplémentaire qu’il représente, il génère, par contre, des savoirs faire qui pourraient enrichir le métier et de ce fait il est généralement bien accepté. Le patou est dans cette logique de « soigner le mal par le mal », un canidé contre un autre. La plupart de ses désagréments sont dus à une mauvaise connaissance de ces chiens par le public, il n’empêche que cela reste l’éleveur qui en est responsable. De plus, la demande ayant explosé, il n’y a pas eu suffisamment de patous sélectionnés éduqués et surtout suivis. Il y a encore bien des carences dans ce sens.


C’est ici que tous les petits calculs que l’on fait sur le loup afin de présenter celui-ci comme une sorte de percepteur passant dans tous les élevages ovins de France pour encaisser une « taxe biodiversité » d’à peine 0,1 pour cent est prise en défaut. Car en restant dans cette logique, on constaterait d’évidence que le patou coûte aussi cher et est aussi contraignant, actuellement, que le loup. Il vaudrait mieux ne pas faire d’angélisme, le patou est efficace à la façon d’une assurance qui coûte évidemment plus cher que la moyenne des dégâts. Pour le troupeau c’est même une « rassurance » et ceci est important car un accident comme une attaque de loups a des séquelles graves.


En France il n’y a pas comme aux Etats-Unis ou en Europe de l’Est des espaces naturels suffisamment grands pour que la nature puisse s’y exprimer totalement sans interventions humaines. On parle de l’écosystème dont les grands prédateurs seraient la clef de voûte, mais le pastoralisme aussi est un système et il faudrait lui laisser vivre sa vie.  Un berger est forcément toujours sur un espace A protéger et il le sait.


Il faut considérer l’importance de ces espaces semi-naturels et les prendre comme référence dans la gestion écologique. Sinon ce camaïeu de milieux allant des anciens prés de fauche jusqu’au début de la foret disparaîtra. Il y aura une grosse frontière, un mur peut-être (ce sont des choses que l’on imagine facilement aujourd’hui) séparant le maïs transgénique et la nature soit disant « sauvage ». Je ne plaisante pas, vouloir délimiter des espaces ou des espèces surprotégés, c’est semer l’idée que le loup devrait être cantonné dans de grands espaces clôturés. Vous savez bien que cette tentation existe.


Puisque les espaces de marge ont un statut trop précaire, je propose de leur accorder un mode de protection particulier et pérenne. Ce « plan de protection du pastoralisme » reposerait sur l’engagement par l’Etat que le nombre de bêtes pâturant les prairies naturelles, les alpages mais aussi les friches voire les no man’s land serait maintenu. On s’engagerait aussi à maintenir la surface de ces pâturages, avec la possibilité de mesures compensatoires pour échanger un lieu contre un autre, mais de façon limitée car la marge ne supporte guère l’excès de rationalisme. Ainsi toutes les incitations aux divers changements se feraient avec les moyens nécessaires et, en quelque sorte, par la loi de l’offre et de la demande. Ce système aura l’avantage d’obliger à tenir compte d’autres facteurs que seulement le côté financier par lequel on résume beaucoup trop rapidement le problème des éleveurs.


Lorsque l’homme ne craint pas d’assumer son rôle de gestionnaire d’espaces naturels, il parvient sur de petits espaces parfois fractionnés, à rétablir un équilibre naturel sans doute moins riche qu’à la préhistoire, mais c’est du beau boulot.


Si on cherche pour les grands prédateurs une place, il faut la leur faire tenir, sans quoi c’est celle des bergers que l’on nie. Ainsi, j’aurais préféré que le loup soit réellement réintroduit pour que sa place soit étudiée préalablement.


Là encore je me pose des questions sur les scientifiques. Ils étudient très abondamment le loup, l’état de la population son évolution, etc.,  mais ont très rarement fait ou divulgué de recherches permettant aux éleveurs et bergers d’anticiper la présence du loup ou autres informations facilitant ce qu’il est convenu d’appeler la « cohabitation ». Pourquoi alors autant de travail scientifique sur une espèce qui se débrouille très bien toute seule.


Pour finir, je voudrais me risquer à vous présenter une idée que vous jugerez sans doute un peu iconoclaste :


Puisque la naturalité du retour du loup est largement à relativiser, pourquoi ne pas amorcer un chantier plus complet et diversifier les prédateurs ? En effet, le loup n’est pas une de ces espèces « parapluie », emblématique mais fragile, dont la protection serait bénéfique à toute une série d’autres animaux ou même végétaux. Le loup serait plutôt, parmi les grands prédateurs, l’espèce envahissante. Pourquoi ne pas davantage se préoccuper d’espèces plus fragiles ? Faut-il croire qu’il est surprotégé parce que c’est le prédateur le plus dommageable pour les bergers et qu’il faut soumettre ceux-ci ? Ce serait une très mauvaise tactique, croyez moi !


D’après mes estimations, un ours tue 5 fois moins de brebis qu’un seul loup. Or, il va quand même occuper un certain espace, même s’il n’a pas de territoire comme une meute de loups. Pour le lynx, il semblerait qu’il disparaisse là ou le loup s’installe. Pourquoi ne défendrait-on pas sa place ? En appliquant une idée comme celle là, on pourrait encore une fois combattre avantageusement un mal par un autre.


Cela demande évidemment d’être plus interventionniste. Sur le loup, il faut de toute façon changer radicalement de point de vue car la situation (en tout cas dans ce département-ci) va très très mal. Pour reprendre mes métaphores médicales, on ne peut malheureusement plus se contenter de médecine douce, il faut de l’antibiotique. Et un antibiotique il ne faut surtout pas en administrer moins que la dose prescrite.


Aujourd’hui, l’acceptation du loup par les bergers n’existe plus du tout. Mais ceux d’entre eux qui ont cru que l’élevage extensif pourrait s’accommoder de la présence du loup seraient heureux de pouvoir retrouver une situation où cela vaudrait la peine de se réinvestir. C’est ce qui est le plus important aujourd’hui, même dans un projet au départ plus modeste, parce que cela permettra réellement de le développer. La contrainte seule n’y arrivera jamais.


J’ai retenu une phrase très sensée de l’artiste naturaliste Robert Hainard : « Il faut sauver les espèces animales en danger non pas parce que nous en avons besoin, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver, et ce seront celles là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous mêmes ».


C’est bien vrai ! Mais cela demande beaucoup d’authenticité. Or la promiscuité flagrante entre le combat pour la nature sauvage et l’activité humaine intensive où les prédateurs n’ont de toute façon aucune place, prouve que notre société en général n’est pas prête aux changements de fond que requiert la présence à sa marge de grands prédateurs, et qu’actuellement, elle ne mérite toujours pas son loup."

 


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S
bonjour, pourriez vous changer le fond d'écran ou la couleur de typo ? votre texte a l'air passionnant mais il est quasiment illisible ainsi en bleu sur fond noir. bien à vous
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C
Bonsoir Sandrine,<br /> <br /> Pardonnez-nous cette gêne. Comme nous l'expliquons lors de notre dernier article, nous sommes en train de travailler sur le blog. Malheureusement, la nouvelle version n'est pas convaincante et nous avons quelques soucis techniques à régler dont celui-ci. Un peu de patience : nous espérons redonner à notre blog un aspect plus sympathique !<br /> <br /> Nous vous remercions pour votre compréhension et vous souhaitons une bonne soirée,<br /> Marie &amp; Stéphan Carbonnaux
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