Conférence à Arreau : osons penser hors-piste
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Je tiens tout d'abord à remercier Yvan Houssard, libraire à Arreau, qui m'a invité à donner cette conférence lors du Festival Pyrénées Cimes dont il est le créateur et un des principaux organisateurs. Ce festival est vraiment très riche et nous avons eu la joie, Marie et moi, de découvrir ou de rédécouvrir le travail d'André Bonaventure, un photographe qui a publié voici deux ans le sublime Pyrénées. Fragments d'éternité avec de superbes poèmes de Georges del Castillo, des aquarelles de Didier Dubarry qui respiraient la vie et l'atmosphère des marchés pyrénéens, les enluminures de Cécile Izambert et les mille et une poudres et instruments nécessaires à son art, ou encore le travail d'Alain Koren, un relieur passionnant. Pour 2011, Pyrénées Cimes mettra à l'honneur les danses et chants pyrénéens. Réservez votre visite !
Ci-dessus : Les hauteurs d'Arreau vues depuis le col d'Aspin
Et, ce samedi 18 septembre à Arreau, si l'assistance n'était pas très nombreuse à ma conférence sur le difficile retour de l'ours (des raisons très objectives expliquaient cela), la discussion n'en a pas moins été très intéressante et elle a encore démontré combien il est impératif que le public s'approprie ce grand sujet écologique et culturel.
J'écris bien s'approprier, tant l'affaire des réintroductions d'ours est confisquée par un mombre restreint de personnes qui dictent ce qu'il faut faire et même penser. Peu avant la conférence, un naturaliste et photographe pyrénéen, me disaient peu ou prou la même chose. Plus l'on s'écarte des milieux militants, plus l'on entend ce type de réflexion.
Voilà pourquoi je ne cesse de plaider pour une totale remise en cause de toutes les questions liées à ces réintroductions si mal menées. Une nouvelle fois, j'ai rappelé que le retour des ours dans les Pyrénées ne pouvait se confondre avec des "lachers" d'ours très contrôlés. Une nouvelle fois, j'ai rappelé que le retour des ours ne sera effectif qu'avec des centaines d'individus présents sur les deux versants de la chaîne. Une population réduite à 50 individus, et séparée en micro-populations comme aujourd'hui, n'aurait aucun sens, si ce n'est de faire tourner le business ursophile et les labels qui fleuriront ici et là.
Parmi les interventions du public, je retiens celle d'un défenseur de l'ours et chasseur de l'Ouest de la France, que je revoyais là avec plaisir, et qui évoquait la nécessité d'introduire au mois une ourse en Béarn, là où ne subsistent plus que des mâles. J'ai répondu, que vivant en Béarn depuis 17 ans, et depuis bientôt deux ans en moyenne montagne, je ressentais avec grande douleur le sort de ces ours, mais que, simultanément, je n'étais pas favorable à un "lâcher" sans remise en question totale de ce qui nous avait mené à la catastrophe dans les Pyrénées occidentales. Serait-il tabou d'ouvrir le débat sur les raisons profondes d'un échec collectif ? Je crois pour ma part avoir commencé à me remettre en cause, publiquement ; il serait bon que d'autres le fassent aussi.
Ci-dessus : le Haut-Béarn des forêts sans ours, ou presque, septembre 2010
Ce même homme a aussi lancé le sujet du retour naturel des loups, via les Alpes ou l'Espagne, qui pourraient alors faire "oublier" les problèmes réels ou supposés causés par les ours. S'il est vrai que le loup est l'ennemi des éleveurs des Cantabriques, qui ne craignent pas beaucoup les ours, Marie, présente dans la salle, a alors répondu que le loup n'avait pas à devenir le nouveau bouc émissaire dans les Pyrénées. Une telle situation démontrerait que rien n'a finalement changé et placerait les défenseurs de la nature dans une position aussi inconfortable. J'entends depuis des années cette réfléxion au sujet des loups et des "bénéfices" que leur retour apporteraient aux ours, je l'ai même un peu reprise à mon compte. Mea culpa. Les loups méritent autant d'attention que les ours, et il serait dangereux d'espérer que le monde pastoral reporte son énergie contre les loups en laissant les ours "tranquilles". Il est en réalité urgent de réfléchir aux Pyrénées que nous désirons dans les décennies à venir. Zooland pour citadins et écolo-bobos au fort pouvoir d'achat ? Montagne et biodiversité à visage humain excluant la grande faune ? Pyrénées capables de renouer avec le bestiaire d'Ekain et de Niaux, sans pour autant détruire la culture pastorale ?
Cliché ci-dessus : empreintes de loup sur une piste en Espagne. Les loups ibériques ont bien du mal à s'approcher des Pyrénées en raison de l'hostilité des éleveurs de moutons, notamment du Pays Basque. Si quelques meutes sont établies depuis plus de vingt ans dans la province basque d'Alava, aucune progression des loups n'est constatée depuis vers l'ouest, chose anormale pour unes espèce qui se reproduit correctement. Il suffit d'aller dans la région de Vitoria-Gasteiz pour commencer à comprendre : les moutons y sont nombreux et sans surveillance.
Seuls quelques loups d'origine italienne occupent des massifs de l'Est des Pyrénées, sans preuve formelle de leur reproduction. Nous sommes donc manifestement loin du retour des loups sur la chaîne, et il faudra beaucoup travailler pour tenter de débloquer les noeuds psychiques et matériels présents dans une partie des sociétés pyrénéennes.
Une femme très enthousiaste, déjà rencontrée ce printemps lors de la Fête du livre d'Aure à Saint-Lary, a dit combien elle n'appréciait pas l'expression "lâchers" d'ours qu'elle assimile à des lâchers de ballons. Elle a également déclaré que son rêve serait celui d'une recolonisation naturelle des ours depuis les Cantabriques, à l'image de ce qu'ont fait les loups d'Italie vers la France. Je lui ai répondu que c'était aussi ce que souhaitait Annick Schnitzler, professeur en phyto-écologie, amoureuse des grands espaces sauvages et co-fondateur de "Forêts sauvages" - http://www.forets-sauvages.fr, qui me posait cette question voici deux ans :
- "Mais pourquoi voulez-vous relâcher des ours dans les Pyrénées ? C'est encore une gestion de la nature, vous les attrapez dans leur forêt où ils sont tranquilles. Pourquoi ne pas attendre qu'ils reviennent d'eux-mêmes, c'est possible ?
- Oui, à long terme, par l'Espagne du Nord-Ouest, cela pourra prendre un siècle, plus peut-être, c'est difficile à dire.
- Eh bien, attendez ! "
C'est donc la question du temps qui a été ici posée, celle du temps qui ne respecte pas ce que nous faisons sans lui. Je vous incite à relire Quelques "fous" du temps long, où j'ai cité des personnes qui sentent bien cela à la différence des agités de l'action permanente et de l'hypercommunication.
Un couple originaire de Franche-Comté s'est également demandé pourquoi "cela marchait en Slovénie et pas en France", une réflexion que l'on entend très souvent, surtout depuis la diffusion des films de Michel Tonnelli. J'ai alors répondu que l'on oubliait systématiquement les grandes différences entre les Pyrénées et la Slovénie, comme si cela était mal venu d'en parler. En effet, les régions peuplées d'ours en Slovénie n'ont pas du tout la tradition pastorale pyrénéenne, et l'élevage est fort différent là-bas. En outre, la seconde guerre mondiale n'a pas eu les mêmes conséquences ici et là-bas, puisque le noyau central d'ours de Slovénie s'est développé sur un territoire en grande partie déserté de sa population de souche germanique après 1945, territoire qui s'est reforesté et a subi un contrôle important des garderies et de l'armée, et ce sous un régime dictatorial pendant plusieurs décennies. Enfin, et c'est un point fondamental, ces territoires sont surtout imprégnés d'une culture sylvatique et cynégétique, et d'un rapport avec la forêt et l'ours qui n'ont rien à voir avec ce que nous vivons dans les Pyrénées. J'ai ajouté qu'à la faveur de l'arrivée de nouveaux habitants venus des villes, la peur de l'ours avait augmenté chez certains et entraîné la destruction par tir de femelles, voire de leurs oursons qu'on jugeait venir trop près des habitations. Tout n'est pas si rose en Slovénie... Je parle en connaissance de cause pour y avoir passé de longues semaines depuis 5 ans, m'immergeant dans la forêt et m'imprégant de la culture locale.
J'ai découvert ce tableau chez le petit-fils d'un garde et grand chasseur des territoires d'où proviennent les ours slovènes introduits dans les Pyrénées. Il s'agit d'une scène d'enterrement d'un chasseur, dont le cercueil est porté par des cerfs, animaux nobles pour les chasseur de trophées de ces régions. Le rôle majeur est néanmoins détenu par l'ours-prêtre, animal roi par excellence. On remarque aussi la présence de tous les animaux de la forêt, loup compris, qui accompagnent l'homme vers sa dernière demeure. Une telle toile illustre mieux que tous les discours le rapport si puissant entre les hommes de ces territoires de Slovénie et les ours, et la faune en général. Je montre cette image lors de ma conférence car elle résume toutce que je peux ressentir là-bas, et qui ne s'exprime pas ou très peu dans la bouche des hommes.
Alors quand je vois que certains défenseurs de l'ours publient, croyant tout dire, des clichés de montagne pyrénéenne et slovène qui se ressemblent, je constate que nous sommes à des années lumière d'une compréhension de la question. Lors de l'été 2008, alors que je dirigeais sur le terrain l'opération "Parole d'ours", j'avais montré bien des fois au public des clichés personnels de Slovénie dans le but de prouver que les régions ursines de ce pays n'étaient pas un "désert" forestier, plat comme la main et vide d'hommes. Mais, attention, c'est par l'examen rigoureux, sans concessions, des faits historiques, culturels, économiques et écologiques que nous pourrons rétablir un semblant de vérité, puis travailler à sortir par le haut d'une situation difficile.
A mes yeux, le grand oeuvre pour les décennies à venir est de travailler le terrain humain et biologique pour offrir la possibilité à une population d'ours (mais aussi de loups et de grands herbivores sauvages) de vivre de manière continue depuis la Galice, les Asturies occidentales jusqu'aux Pyrénées les plus orientales. C'est la raison pour laquelle j'estime qu'il vaut mieux renoncer aujourd'hui à "lâcher" des ours sur un terrain mal préparé, ours qui sont évidemment en première ligne, et qui sont de plus en plus "gérés", c'est-à-dire de de moins en moins sauvages. Un tel défi nécessitera évidemment une rupture à tous les niveaux, une éthique écologique ferme de la part des défenseurs de la nature, un respect scrupuleux des procédures réellement démocratiques (j'exclus ici le fonctionnement classique qui, à coup d'une assemblée générale par an, le plus souvent déjà ficelée, donne l'illusion aux adhérents de détenir une parcelle de pouvoir), une politique sociale irréprochable vis-à-vis des salariés, et enfin une morale sans quoi rien n'est permis.
Au terme de chacune de ces conférences je me rends compte que la plupart des personnes n'osent pas encore penser en dehors des voies dûment balisées de l'ursologiquement correct. Il faut pourtant en finir avec les phrases toutes faites, balayer les lieux communs et briser le conformisme qui nous étouffe, quelles que soient les conséquences à en attendre pour certains, car, répétons-le, la cause de l'ours est celle des ours et non celle des défenseurs de l'ours. L'égocentrisme, le pouvoir, les misérables intérêts doivent s'effacer devant l'intérêt des ours qui, eux, n'attendent qu'une chose : qu'on leur fiche la paix !
En aparté de la conférence, j'ai entendu une phrase sensée clore toute discussion :" Si on avait pas lâché des ours, il n'en resterait qu'un seul dans les Pyrénées". Diantre ! Et si depuis les années 1950, ou les années 1970, on avait travaillé tout autrement, peut-être les Pyrénées abriteraient-elles une population de plus de 50 ours, en augmentation constante, acceptée par la quasi-totalité de la population, éleveurs et chasseurs réunis. Si nous avions agi autrement, l'ourse Lagaffe n'aurait peut-être pas été capturée, ni le patriarche Papillon qui est mort peu de temps après, l'ourse Cannelle n'aurait peut-être pas été tuée au terme d'une bouffonnerie longue de dix ans (je parle ici de la collaboration des associations au sein de l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn), l'ourse Franska ne serait peut-être pas morte tapée sur la voie rapide d'Argelès-Gazost, les ours Balou et Hvala n'auraient pas manqué de peu la mort par accident de chasse, etc. La liste de nos ratés est très longue... Eh oui, il n'y pas de quoi être très fier aujourd'hui !
Ci-dessus : l'ourse Cannelle, dernière femelle de souche pyrénéenne, sur le tarmac de l'aéroport de Pau, en novembre 2004. Si Cannelle a été tuée par un chasseur, son procès a démontré que sa mort était le résultat d'une politique vieille de plusieurs décennies. Un bilan sans concessions aurait dû être tiré par le mouvement de défense des ours. On attend toujours !
Voilà, je compte donner le plus souvent possible cette conférence avec pour but de libérer la parole et de permettre, de mon côté, à la pensée de circuler et de féconder nos rêves les plus ambitieux.
N'hésitez pas à répondre à cet article, nous publions toutes (j'insiste) les réactions et/ou à proposer cette conférence autour de vous : Conférence "Le difficile retour de l'ours en France"
Stéphan Carbonnaux
Clichés : collection personnelle, excepté les derniers clichés de l'ourse Cannelle morte, dont la source est donnée dans l'article Requiem pour l'ours écrit par Marie.